Ca ce n'est pas une bonne nouvelle, mais fallait s'y attendre.
Les prix agricoles resteront élevés pendant 10 ans
LE MONDE | 29.05.08
Après deux ans d'envolée des cours des matières premières agricoles,
ceux qui en profitent comme ceux qui en pâtissent se demandent si les
prix retrouveront un jour leurs niveaux passés. Pas dans l'immédiat,
concluent l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) et l'Organisation pour l'alimentation et
l'agriculture des Nations unies (FAO), qui publient, jeudi 29 mai,
des "Perspectives agricoles pour 2008-2017". En pleine crise
alimentaire mondiale, cette quatrième édition des "Perspectives"
devait pour la première fois être présentée par le secrétaire général
de l'OCDE, Angel Gurria, et le directeur général de la FAO, Jacques
Diouf.
Selon les "Perspectives agricoles 2008-2017" de l'OCDE et de la FAO,
l'épicentre de la production agricole mondiale va continuer à se
déplacer vers les pays émergents (Inde, Brésil, Argentine...) dans
les dix ans à venir. A l'horizon 2017, ils devraient même arriver en
tête de la production et de la consommation mondiale de la plupart
des produits de base. Bien que les pays de l'OCDE devraient voir
diminuer leur part dans les exportations, ils resteraient en tête
pour le blé, les céréales secondaires (maïs, orge...), le porc et les
produits laitiers.
Selon les experts de ces organisations, les prix, après avoir atteint
des sommets historiques, devraient certes se détendre du fait d'un
accroissement de l'offre, mais dans les dix ans à venir ils
resteraient en moyenne bien plus élevés que lors de la décennie
passée. Leurs projections de prix, en termes nominaux, indiquent une
hausse d'environ 20 % pour la viande bovine et porcine, de 30 % pour
le sucre, de 40 % à 60 % pour le blé, le maïs et le lait écrémé en
poudre, de plus de 60 % pour le beurre et les oléagineux, et de plus
de 80 % pour les huiles végétales.
"Ces hausses posent beaucoup de questions. Pour décider de la bonne
politique à mener, il faut savoir si les raisons de l'envolée sont
temporaires ou permanentes", explique Loek Boonekamp, de la division
agriculture de l'OCDE. Les flambées de cours sont fréquentes, mais
historiquement elles étaient liées à des événements ponctuels, comme
une baisse des rendements provoquée par une sécheresse ; les prix
retrouvaient assez rapidement leurs niveaux antérieurs.
Mais ces derniers temps, la flambée des cours tient à des évolutions
structurelles, et notamment au fait que l'offre ne couvre plus la
demande. Entre 2005 et 2007, la production mondiale de céréales s'est
accrue de 46 millions de tonnes (3 %), tandis que la consommation a
augmenté de 80 millions (5 %). Les stocks, au plus bas, n'amortissent
plus les déséquilibres.
Pour l'OCDE et la FAO, d'autres facteurs permanents poussent aussi
les prix vers le haut : les cours élevés du pétrole qui font grimper
les coûts de production, la croissance démographique, la modification
des pratiques alimentaires vers une consommation accrue de viande
dans les pays émergents, et enfin, la demande de grains pour les
agrocarburants.
"Il y a peut-être lieu d'envisager d'autres démarches sans effet
indésirable sur les prix alimentaires", préconisent d'ailleurs les
experts.
Dans les dix ans à venir, les prix devraient être en outre plus
instables pour plusieurs raisons : les niveaux de stocks ne devraient
pas sensiblement remonter, les conditions météorologiques pourraient
devenir plus variables du fait du changement climatique, et la
présence accrue de fonds spéculatifs sur les marchés agricoles
deviendrait préoccupante.
LES URBAINS PERDANTS
Autant de facteurs que les deux organisations jugent indispensables
de prendre en compte pour faire évoluer l'agriculture mondiale. Dans
ce contexte, il y aura à la fois des gagnants et des perdants. Les
agriculteurs des pays développés en tireront profit, mais aussi ceux
des pays en développement, si on les aide à investir. En revanche,
pour les populations pauvres et urbaines des pays fortement
importateurs de denrées, la situation va s'aggraver. "Dans bien des
pays à faible revenu, la nourriture représente en moyenne plus de 50
% du budget (des ménages)", note le document, qui pointe les effets
négatifs des restrictions à l'exportation de céréales décidées par
certains producteurs.
Reste la question de comment produire plus pour que l'offre comble la
demande et que les stocks se reconstituent. Les auteurs du rapport
estiment qu'à moyen terme des évolutions technologiques restent
possibles. Pas de quoi cependant éviter une situation tendue sur les
marchés agricoles pendant encore au moins dix ans.
Laetitia Clavreul
http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/05/29/les-prix-agricoles-
resteront-eleves-pendant-10-ans_1051293_3234.html?xtor=RSS